Le Royaume-Uni est un pays émetteur pour le Club Med. Ici, pas de club ni de « resort », le groupe emploie en Grande-Bretagne 50 personnes chargées de recruter des clients, notamment pour remplir les villages des stations de ski françaises de l’enseigne. « Nous avons plusieurs canaux de vente, détaille Estelle Giraudeau, notre site web, un centre d’appels et des agences de voyages indépendantes avec qui nous travaillons. Le Royaume-Uni est le 3ème marché en Europe pour nous derrière la France et la Belgique. Nos métiers sont ceux du call center, du département marketing, du commercial, des finances et les ressources humaines. » Pour la Française, diplômée en littérature à l’Université McGill de Montréal et en marketing et communication internationale, option marketing digital à l’IAE de Lille, il est difficile de séparer l’effet du Brexit sur l’activité du Club Med de celui de la pandémie de Covid-19. « Tout s’enchevêtre, explique-t-elle, comme le montre la récente décision de la France d’empêcher les Britanniques de venir cet hiver. Il y a forcément une raison sanitaire derrière, mais aussi sans doute une arrière-pensée politique puisqu’on sait que les relations entre les deux pays sont mauvaises depuis le Brexit, notamment autour du sujet de la pêche. Le Covid est parfois un instrument assez facile. »
Frein à la production
Née en Vendée, Estelle Giraudeau a commencé sa carrière au sein de l’agence de publicité DDB avant de rejoindre IKKS, leader de la mode enfantine, puis le Club Med. Un an après le déclenchement du Brexit, c’est au niveau du recrutement que l’impact est le plus fort pour le groupe au Royaume-Uni. « On a une pénurie de candidats sur certains postes, notamment au call center, sur des salaires un peu plus bas que des positions managériales, reconnaît-elle. C’est un réel frein à la production pour nous. Le sujet n’a pas été très bien anticipé ou alors sciemment voulu, ce qui serait curieux car c’est un ralentisseur très fort pour la croissance du pays. » Cette pénurie de main d’œuvre touche d’ailleurs à la culture même du Club Med au Royaume-Uni : « Notre particularité, précise la Française, c’est d’être très ouverts sur la diversité, notamment internationale, de nos populations et on avait énormément d’Européens dans nos rangs. On a des Britanniques aussi, mais pas en majorité, ce qui est assez représentatif de toutes les entreprises de Londres. Et ceux qui ne se sont pas enregistrés avant le 31 décembre 2020 n’ont plus accès au marché du travail britannique sauf si l’entreprise vous sponsorise. On a donc dû réactiver notre licence de « sponsorship. »
Lourdeur administrative
Mais cela représente un coût important pour la société qui doit payer un visa pour chaque collaborateur qu’elle souhaite recruter hors Royaume-Uni. « C’est la même chose pour les stagiaires, ajoute Estelle Giraudeau, qui possède elle-même la nationalité britannique, et pour nous, le sujet est important parce qu’ils font vraiment partie de l’équipe, ce sont de vraies ressources et on doit financer un visa pour eux aussi, même s’ils ne restent que six mois. On a des postes vacants mais on ne peut pas absorber financièrement autant de demandes, on n’a pas la bande passante ! Sur certains types de métiers, les autorités devraient être capables d’alléger les critères requis pour accéder au marché du travail britannique, pour le bien du client, tout simplement. »Parmi les autres complications imposées par le Brexit, le Club Med doit désormais passer par l’Irlande pour traiter ses marchés scandinaves. « Il y a une lourdeur administrative qui n’existait pas auparavant, on a beaucoup plus de « reporting » à faire aux différentes entités gouvernementales britanniques du secteur de l’industrie, détaille-t-elle, c’est une charge de travail supplémentaire pour les équipes. Les assurances sont parfois plus compliquées à obtenir. On a dû réécrire également toutes nos conditions générales de vente puisque l’Europe ne s’applique plus. Cela a généré des coûts supplémentaires d’avocats. »
Immigration choisie
La Française reste pourtant d’un optimisme prudent quant à l’avenir. « Les Anglais sont suffisamment pragmatiques pour se rendre compte assez rapidement des limites de leur Brexit tel qu’ils l’ont conçu, un peu radical. Ils avaient de toute façon le fantasme d’aller vers une immigration choisie comme les États-Unis ou l’Australie, d’être très sélectifs sur les métiers et les qualifications des personnes, mais je pense qu’ils vont arriver à des solutions qui vont permettre de servir la croissance du pays. En revanche, la grande question c’est de savoir à quel rythme ils vont changer les choses sans pour autant donner l’impression de revenir sur le vote de juin 2016, parce qu’ils sont très assis sur leurs positions. »
Capacité de rebond
Estelle Giraudeau estime en tout cas qu’il faudra encore plusieurs années pour tirer un vrai bilan de ce largage d’amarres du Royaume-Uni. La Française s’émerveille encore de la résilience, du flegme et de la capacité des Britanniques à continuer d’avancer malgré des signes de crise. « Ils ont une faculté de rebondir bien plus forte que les Français, constate-t-elle. Ils ont aussi une facilité, qui continue de m’éblouir, à être confortables dans l’inconfort. Six ans après le vote du Brexit, on est toujours dans cette espèce de ventre mou où les choses sont décidées, mais où finalement on se sent libre de revenir sur tout. Ils sont capables de se dire « ce n’est pas grave » même si on est au bord du gouffre. C’est une force dans la négociation. Pour le Brexit, ils ont approché la discussion en disant aux Européens « c’est vous qui êtes demandeurs ! » ce qui était complètement l’opposé de la réalité. C’est ce qu’on voit en ce moment avec la pêche, où il jouent de mauvaise foi en disant « je n’avais pas compris ci ou ça. » Ce qui est triste, c’est qu’à la fin, ce sont les consommateurs, les citoyens britanniques et les Français qui vivent au Royaume-Uni qui sont instrumentalisés et pénalisés. »
Francophilie
La bonne nouvelle, c’est que le Brexit n’a eu pour l’instant que peu d’impact sur la croissance de l’activité du Club Med outre-Manche: « Il n’y a pas eu de frein sur le flux des voyageurs car la francophilie reste forte. Les Britanniques aiment voyager et passer du temps en France parce que sur leur île, même s’il y a plein d’atouts, ce n’est quand même pas la meilleure destination touristique du monde ! » Brexit ou pas, le groupe poursuit sa croissance et ce sont seize nouveaux établissements qui ouvriront d’ici 2023, notamment en Italie », a promis ce mois-ci son président Henri Giscard d’Estaing.
Lui écrire : estelle.giraudeau@clubmed.com