A compter du 8 juin, le Royaume-Uni va imposer une « quatorzaine » à tous les ressortissants entrant sur le territoire. La France, qui espérait faire exception, a finalement prévu, elle aussi, de demander à cette même date, une quatorzaine volontaire aux personnes arrivant du Royaume-Uni. Les discussions à ce sujet se poursuivent-elles?
Catherine Colonna : Dans le cadre de la levée progressive du confinement au Royaume-Uni, les autorités britanniques ont décidé de mettre en place une quarantaine de 14 jours pour toute personne qui entrerait au Royaume-Uni à partir du 8 juin. Cette mesure sera reconductible à l’issue de ces trois semaines. Elle est obligatoire et les exemptions sont très limitées. Certains détails pratiques restent à définir. Par réciprocité, la France a mis en place une quarantaine de 14 jours pour les personnes qui arrivent du Royaume-Uni mais cette quarantaine est volontaire et fait d’abord appel au sens civique et à l’esprit de responsabilité des voyageurs.
Comment les services de l’ambassade et du consulat ont-ils été impactés par la crise sanitaire ? Tous les services peuvent-ils fonctionner actuellement ?
C.C.: L’ensemble des services de l’ambassade a travaillé, pour l’essentiel, à distance depuis la mise en place du confinement le 17 mars. L’activité a été très soutenue, en particulier pour le consulat général qui a répondu aux très nombreuses demandes (16 000 appels et 22 000 mails) des ressortissants français, préoccupés par le contexte sanitaire et les conditions de circulation, et est intervenu dans des situations d’urgence. Je salue la mobilisation de tous mais aussi la compréhension de la communauté française qui n’a pas pu bénéficier, pendant le confinement, de l’intégralité des services publics auxquels elle est attachée, du fait de l’impossibilité d’accueillir du public.
Depuis le 1er juin, mes équipes reviennent progressivement à l’ambassade, dans le respect des règles sanitaires et en adaptant les horaires de travail pour limiter le nombre d’usagers des transports en commun aux heures de pointe. Les services consulaires reprennent progressivement, à plus grande échelle, plusieurs des démarches qui avaient dû être interrompues durant le confinement, mais ils traitent naturellement en priorité les cas urgents.
Des entreprises ont fait faillite par milliers au Royaume-Uni depuis le début de la crise et des Français au Royaume-Uni sont actuellement dans des situations très difficiles. Comment s’organise l’aide de l’ambassade envers les personnes vulnérables ?
C.C.: Notre première tâche, au début de la crise, a été d’encourager et aider les Français de passage à regagner la France. Cette mission a été facilitée par le fait que contrairement à d’autres pays, les liaisons commerciales entre le Royaume-Uni et la France ont été fortement réduites mais jamais interrompues. Reste bien sûr la question plus lourde et plus durable des conséquences économiques et sociales de cette crise. Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a mis en place un plan mondial d’aide aux Français de l’étranger, couvrant l’assistance médicale, l’aide à la scolarité et le soutien social. Au Royaume-Uni, le droit européen s’applique toujours. Le système de santé a fait preuve de sa résilience et les autorités ont pris, comme en France, des mesures de protection sociale de grande envergure. Par conséquent, notre action se concentre essentiellement sur la gestion des bourses scolaires et la coopération avec les organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES), en particulier le Dispensaire français.
En parallèle, une aide exceptionnelle a été prévue pour les familles les plus vulnérables. Cette aide a-t-elle commencé à être distribuée ? Que pensez-vous de ce dispositif ?
C.C.: Nous avons en effet la possibilité d’accorder des secours financiers occasionnels à ceux de nos compatriotes dont la crise actuelle a dégradé la situation matérielle, et qui ne bénéficieraient d’aucun accès aux prestations sociales britanniques, ni d’aucune assistance d’ordre familial, amical ou de la société civile. Nous avons déjà été saisis de demandes en ce sens, que nous examinons. Nous avons également invité les élus consulaires et le tissu associatif à nous signaler les cas dont ils ont connaissances. Il s’agit nécessairement d’un dispositif d’appoint, puisque contrairement à ceux d’autres régions du monde, nos compatriotes au Royaume-Uni ont très majoritairement accès aux mécanismes locaux de solidarité.
L’échéance de fin juin se rapproche pour prolonger ou non la période de transition qui court jusqu’à la fin de l’année. Pouvez-vous nous en dire plus sur les discussions à ce sujet ?
C.C.: Les négociations sur la relation future entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni se poursuivent malgré la crise sanitaire. Jusqu’à présent, le Royaume-Uni a été clair sur ses intentions : il ne souhaite pas d’extension de la période de transition. Si cette position n’évolue pas, la période de transition prendra fin au 31 décembre de cette année, avec ou sans accord commercial. Nous voulons un accord. Le mandat européen est ambitieux. Il propose une relation d’une proximité sans précédent, avec un équilibre entre droits et obligations qui tient compte des liens étroits qui nous unissent sur les plans économique, politique, social, humain, culturel… La crise sanitaire l’a bien montré : nous sommes interdépendants. Nous devons donc construire une relation future avec le Royaume-Uni à la hauteur des enjeux que nous aurons à affronter ensemble. Michel Barnier, qui mène les négociations au nom de l’Union, a indiqué qu’il fallait redoubler d’effort pour avancer dans les prochaines semaines. Nous lui faisons entière confiance.
Notre site, en partenariat avec le think tank Cercle d’Outre-Manche, a publié une série d’entretiens avec des dirigeants français implantés au Royaume-Uni. Selon eux, de nombreuses questions restent encore en suspens dans plusieurs secteurs (l’industrie pharmaceutique, la finance ou le marché de l’art par exemple), et en matière de règlementations (recrutements, protection des données…). Pouvez-vous nous dire s’il y a eu des avancées dans certains domaines ?
C.C.: En effet, des avancées sont nécessaires dans un grand nombre de secteurs clés pour qu’un accord soit possible. Nous devons avancer sur tous les sujets en parallèle et au même rythme et avec la même ambition. Cela est nécessaire pour protéger nos intérêts dans tous les domaines. Si le gouvernement britannique reste sur sa position de ne pas solliciter une extension de la période de transition, les délais seront très serrés. Nous avons bien avancé sur certains sujets mais d’autres, comme la pêche ou la gouvernance, sont plus difficiles. Un accord reste possible, y compris dans des délais très courts. Nous le souhaitons et c’est l’objectif de l’Union. C’est pourquoi nous devons accélérer les négociations et surmonter les différences d’approches qui demeurent. C’est tout l’enjeu des négociations de ces prochaines semaines.
Les parlementaires britanniques ont adopté le 18 mai une loi visant à mettre en place un nouveau système d’immigration à points à compter de janvier 2021. Des discussions sont-elles toujours en cours à ce sujet ? Cette loi ne devrait pas avoir d’impact sur les personnes en « settled status » et « pre-settled status », qu’en pensez-vous ?
C.C.: J’ai suivi avec intérêt les débats au Parlement britannique au sujet de ce futur système à points. C’est bien sûr un sujet dont nos autorités s’entretiennent bien qu’il ne fasse pas l’objet de négociations entre Paris et Londres.
Cette loi ne doit en effet pas avoir de conséquence pour les personnes qui se trouvent au Royaume-Uni et ont obtenu ou obtiendront un « pre-settled status » ou un « settled status ». Mais il est clair qu’il sera plus difficile pour les ressortissant européens de venir s’installer au Royaume-Uni après la période de transition.
Quelles sont par ailleurs vos informations concernant les discussions concernant les étudiants qui souhaiteraient venir étudier au Royaume-Uni ?
C.C.: Dans le contexte de crise du Covid-19, les universités s’efforcent d’encourager les étudiants internationaux à maintenir leur projet d’études. Les délais des procédures d’admission pour l’année universitaire 2020-21 ont été étendus afin de laisser plus de temps aux étudiants pour soumettre leur dossier. L’organisme qui regroupe les universités britanniques, Universities UK, a publié le 3 juin les principes devant guider l’organisation des études, et réaffirme l’importance de prendre en compte les besoins des étudiants internationaux : il y aura des cours en ligne, des rentrées décalées pour certains établissements, des cursus mixtes (en ligne et en face à face). L’Université de Cambridge a par exemple annoncé que les cours magistraux auront lieu en ligne, pour privilégier les cours en petit groupes permettant le respect des distances de sécurité.
Plus largement, dans le contexte de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, nous ne savons pas à ce jour si le Royaume-Uni sera ou non associé au prochain programme de mobilité Erasmus +. Pour l’année 2020-21, les frais et les droits à prêt pour les étudiants qui s’inscrivent dans les universités britanniques sont actuellement alignés sur ceux des Britanniques. Cette mesure n’est pas garantie au-delà l’année 2020-2021, à ce stade.
Que diriez-vous aux Français actuellement au Royaume-Uni qui s’inquiètent de ce climat d’incertitude ?
C.C.: Demandez votre « settled status » ! C’est l’unique et le meilleur moyen de sécuriser vos droits aux Royaume-Uni. Plusieurs milliers de Français en font la demande chaque mois, mais certains hésitent. Il n’y a rien à gagner à attendre, et mieux vaut avoir cette démarche, dans l’ensemble assez simple, derrière soi. Le site du Consulat généralapporte des réponses aux questions que nos compatriotes se posent à ce sujet. Je vous invite à le consulter sans modération.
Selon vos informations, la population des Français au Royaume-Uni a-t-elle beaucoup évolué depuis l’annonce du Brexit ? Depuis la crise sanitaire ?
C.C.: Le seul instrument de mesure dont nous disposons est le registre consulaire. Le nombre de Français non seulement ne baisse pas, mais il augmente, car l’incertitude nourrit le besoin de se rapprocher de son administration. Nous l’observons avec la crise sanitaire comme avec le Brexit. Nous savons cependant que nombre de Français, sans doute entre un tiers et la moitié, ne s’inscrivent pas, ce qui rend approximatif tout chiffrage global. Notre communauté en outre, n’est jamais figée : des Français partent, d’autres arrivent. Le recensement britannique de l’année prochaine nous fournira des indications intéressantes. Toujours est-il que notre communauté apporte une contribution inestimable et reconnue au dynamisme de la société britannique.